Aragats
Les sœurs subviennent aux besoins d’une cinquante de familles nécessiteuses. Elles visitent régulièrement ces familles et leurs apportent de quoi se vêtir, se nourrir et de l’argent pour les frais de chauffage notamment.
Ces familles sont le plus souvent des personnes souffrant de handicaps mentaux ou physiques ou des personnes âgées ayant à charge leurs petits-enfants abandonnés par leurs parents : le père est parti en Russie chercher du travail et fini par y construire une nouvelle famille. La femme se remarie alors à son tour et est contrainte par son nouveau mari d’abandonner ses enfants.
Vendredi, c’est une de ces familles que nous sommes allés visiter, dans le village d’Aragats, au pied de la montagne du même nom. Nous chargeons donc le 4x4 de sacs de vêtements et de nourriture, et nous voilà partis. Avant de démarrer, Sœur Arousiag nous prévient : « préparez-vous psychologiquement ! ».
La famille en question est une « tribu » de 3 sœurs et leur mère, toutes handicapées mentales à l’exception d’une des femmes. De ces femmes, sont nés trois filles, issues de relations incestueuses ou d’hommes ayant profité d’elles.
Il y a 4 ans, lorsque les sœurs découvrent cette famille, elles sont bouleversées par leur misère intellectuelle et matérielle et tentent d’y soustraire les trois enfants. Deux seront accueillis dans l’orphelinat, non sans difficultés car les mères refusent de voir partir leurs filles. La troisième, handicapée physique et mentale, est restée avec sa mère qui jure que si sa fille lui est enlevée, « elle se pendra ».
Il y a quelques années, les sœurs de Mère Theresa, qui font un travail magnifique en Arménie avec deux centres d’accueils de personnes handicapées, ont tenté de récupérer l’enfant mais rien n’y fit, elles se firent chasser à grands cris. Depuis, les sœurs d’Arménie et de Mère Theresa se relaient pour apporter réconfort à cette famille.
Arrivés sur place, c’est le choc. Nous restons pétrifiés, incapables du moindre geste. Ces gens vivent dans une maison sans porte ni fenêtre (il fait -30° ici en hiver) et dans une saleté absolue. Nous n’en croyons pas nos yeux.
A peine les salutations finies, Sœur Nariné se précipite derrière le fil à linge et soulève un corps dont le visage est face contre terre. Misère ! C’est une petite fille dont on ne peut distinguer ni le visage ni les mains tant ils sont souillés ; nous pourrions croire à un animal s’il n’y avait les vêtements crasseux.
Nous reculons effrayés, et assistons émus, à un des plus beaux gestes d’amour que nous ayons vus jusqu’alors. Sœur Nariné, avec beaucoup de tendresse, enlève une de ses barrettes et attache les cheveux de la petite pour lui dégager la face. Puis, elle commence à lui laver les mains et le visage dans une petite écuelle. En quelques secondes, l’eau est noire, et apparait alors un joli visage de petite fille. Nous sommes stupéfaits et complètements défaits ! Comment au XXIème siècle ceci est-il encore possible ? La petite ayant retrouvé apparence humaine, la sœur entreprend de lui donner à manger sur le pas de la porte.
Quant à nous, nous sommes invités à rentrer dans la maison. La lumière y pénètre difficilement et quelle stupeur quand nous distinguons une vache et un cheval au fond de la première pièce. Dans la continuité de l’étable et sans aucune séparation, se trouve la chambre à coucher. La saleté y est absolument innommable.
Force est de constater que la nourriture et les vêtements apportés ne suffisent pas dans le cas présent. Il faut bruler tout ce qui se trouve dans cette maison et la reconstruire. Faut-il arracher cet enfant à sa mère? Comment mettre en place un suivi plus régulier pour cette famille et lui permettre de se prendre en charge ? Vers qui ou quelle association se tourner pour trouver de l’aide ? Comment trouver les quelques 40000$ nécessaires à la restauration de leur maison ? Ce sont les questions que nous avons tous en tête aujourd’hui.